Les heures, les journées, les années s’égrainent paisiblement, ou pas. Le temps comme un repère abstrait, d’origine incertaine et d’avenir inconnu structure notre quotidien. Tout individu fait l’expérience du temps. La crise sanitaire que nous traversons bouleverse notre rapport au temps, notre quotidien se voit transformé, nos habitudes balayées.
Le mot temps provient du latin tempus, de la même racine que le grec ancien τεμνεῖν (temnein) qui signifier couper et qui fait référence à une division de l’espace du temps. Chez les grecs, le temps est la synthèse du chronos (Χρόνος : « temps, durée de temps ») de l’Aiôn (Αἰών : « temps, durée de la vie d'où destinée, sort ») et Kairos (Καιρός : « moment opportun, occasion »). Ce sont ces trois approches associées qui permettent de définir le temps.
Ce concept de temps rend compte de la structure du monde et de ses changements. Les historiens ont divisé le temps en différentes périodes. Nous même, nous organisons notre existence sur la longue flèche définie par les grecs du passé, du présent et du futur.
Bien que conscients de cette notion de temps, au fil des siècles les individus se sont rendus compte du caractère insaisissable de ce dernier. Les philosophes depuis Aristote n’ont cessé de penser ce temps qui s’écoule. Les religions, les trois grands monothéismes à savoir chronologiquement le judaïsme, le christianisme et l’islam ont cherché sans cesse à structurer la perception du temps chez les individus, leurs rapports au temps, ici on peut évoquer Saint Benoît, religieux du V ème siècle qui a écrit une célèbre règle structurant la vie religieuse de manière rigoureuse par des temps de travail, de prière et de détente et qui demeure encore aujourd’hui la base règlementaire de bons nombres de monastères dans le monde. Plus généralement, les religions par divers comportements, divers aménagements du quotidien proposent une nouvelle possibilité de relation au temps vers un but éternel.
En effet, si notre perception humaine décompose le temps par la structure passé, présent, futur elle est aussi limitée par le début de notre vie soit la naissance et la mort soit sa fin. Ce constat universel n’a cessé d’interroger. De nombreux intellectuels ont travaillé sur ce sujet de la fuite du temps.
La littérature et donc l’écriture a était et est encore une réponse pour beaucoup d’écrivains fasse à cette fatalité du temps qui passe. L’écriture ne permet pas en soit de contrôler le temps mais de rendre sa fuite plus acceptable, de se tourner vers un ailleurs ?
La littérature éveille et ouvre à un autre monde celui de l’imaginaire. Par la découverte de cet ailleurs on échappe au temps, on échappe au rythme quotidien. Les ouvrages de Sylvain Tesson notamment Dans les forêts de Sibérie et La panthère des neiges ouvrent vers ce monde hors du temps. C’est d’ailleurs le but recherché de l’auteur qui dans de nombreux entretiens évoque ce désir qu’il connaît de s’extraire du monde par les voyages et l’écriture.
Bien que permettant de s’ouvrir vers un ailleurs la littérature a aussi et permet encore de jeter sur le papier cette angoisse face à ce temps qui passe, comment ne pas citer Baudelaire génie symboliste absolu éminemment célèbre pour son œuvre Les Fleurs du Mal. Nous retrouvons dans le recueil plus précisément dans la seconde édition parue en 1861 et dans la section Spleen et Idéal le poème L’Horloge où le temps est omniprésent, dramatisé et où sa fuite est vue comme une tragédie universelle inévitable dont le poète veille à nous mettre en garde.
De plus, Marcel Proust auteur de la suite romanesque À la recherche du temps perdu aborde par un style unique l’expérience de l’auteur dans ses plus jeunes années. Proust est connu pour ses longues phrases, ses longues descriptions. Chaque personnage est retranscrit dans les moindres détails, une manière sans doute de revivre le moment, plus encore de le rendre éternel. Le style de l’écrivain permet, tout du moins dans son récit, d’avoir un pouvoir sur le temps, par le rythme, la succession des mots, le temps s’étire selon la volonté de l’écrivain et chez Proust le temps est long, l’auteur aime faire durer ce temps. Marguerite Duras dans un tout autre style raconte dans L’Amant le récit de ses jeunes années. Son style est vif, clair et concis, une autre manière ici de prendre possession du temps elle qui se disait « en quête d’une écriture courante ».
C’est bien ici que se trouve le sommet du rapport entre le temps et la littérature. Bien sûr la tâche de l’écrivain est multiple, complexe mais sa vocation est éternelle. La littérature occupe dans le réel cette part hors du temps qui dépasse, surpasse le quotidien.
En s’ouvrant à cet art on découvrirait alors un autre monde ? On pourrait s’extraire de la fatalité du temps qui passe ? On accèderait à une forme d’éternité artistique ?
Ces possibilités se trouvent là devant nous et en ce temps de confinement la littérature permet de voguer vers un irréel présent.
Alors n’hésitons plus, affluons vers les livres.
M.V