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La réécriture

La réécriture est très utilisée en littérature, que ce soit pour modifier des petites parties d’un texte, rectifier le sens d’un mot, ou même afin d’imiter ou parodier une œuvre. Il s’agit d’un chemin à suivre lorsqu’on arrive dans le domaine littéraire puisqu’il faut reproduire et changer une partie pour s’entraîner et s’imprégner de ce travail exigeant qu’est l’écriture. On utilise aussi ce procédé dans le but de donner une nouvelle vision au lecteur. Bien que la réécriture soit omniprésente, quels avantages a-t-on de réécrire une œuvre littéraire ? Pourquoi donner une nouvelle vision d’un texte ayant déjà eu un retentissement majeur ?

 

Déjà à l’Antiquité, les écrivains utilisaient l’imitation sur des grands textes. Le but recherché ici était tout simplement de s’entraîner sur des textes ayant un niveau de maîtrise rare, atteignant presque la perfection et qui pouvaient ainsi servir légitimement d’exemple. 

 Cette logique ne se limite pas au domaine littéraire puisque l’action et la volonté d’imitation se retrouvent dans l’ensemble des domaines artistiques. En effet, chez les peintres, il faut s’imprégner du style des autres pour découvrir son style. Pour composer et écrire sa musique, il faut disposer d’une grande connaissance musicale et s’inspirer d’une mélodie connue et modifier (par exemple) des notes d’une composition déjà existante. Pour être un fin dramaturge ou un fin comédien il est nécessaire d’observer la manière de faire de ses compagnons en ajoutant sa touche personnelle. Il en est de même pour l’écriture ; pour s’essayer à cette discipline il est utile d’avoir une grande connaissance littéraire afin de trouver son propre style et de s’inspirer de celui des autres (notamment par la modification d’un texte connue).

 

La Fontaine avait bien compris cette méthode et bien qu’il soit déjà un fabuliste extraordinaire, il trouvait un autre but : partager un message ancien à ses contemporains. L’Antiquité raffolait déjà de fables instructives mais les textes devenaient anciens et le langage se modifiait, alors La Fontaine a réécrit la forme de ces textes pour que le message devienne davantage compréhensible. Le but d’instruire devient alors universel. Le talent d’un écrivain, à l’époque, était donc la capacité d’imiter un texte en l’innovant et le rendant plus accessible. Cette volonté va même aller  jusqu’à créer une querelle entre les Anciens et les Modernes : les premiers voient la littérature comme de l’imitation alors que les seconds la voient comme de l’innovation.

 

Réécrire également pour rechercher un nouveau genre, mouvement, même peut-être des nouveaux mots, des nouveaux sens. Raymond Quenau est un romancier, poète français du début du XXème siècle qui est le cofondateur d’un groupe intitulé l’Oulipo soit  l’Ouvroir de littérature potentielle. Ce groupe a pour but de « découvrir de nouvelles potentialités de langage et de moderniser l’expression à travers des jeux d’écriture ». Selon eux, il faut « déjouer les habitudes pour atteindre de la nouveauté ». L’œuvre la plus connue de ce groupe, écrite par Quenau, est intitulée  Exercices de style  et publiée en 1947.  Elle raconte la même histoire 99 fois avec 99 styles différents. Ici, Quenau s’oblige ses deux contraintes pour justement déjouer les habitudes et cela marche. Umberto Eco, celui qui a traduit le livre en italien, affirme que Quenau « détourne les valeurs esthétiques associées aux figures de rhétorique afin de pouvoir mener ses propres explorations parodiques et ludiques de la langue ».

 

Andromaque,  tragédie de Jean Racine paru en 1668 est en réalité une longue lignée de réécriture de texte. Tout d’abord, l’histoire d’Andromaque provient de  L’Iliade  d’Homère parue au VIIIème siècle av JC. Ensuite, c’est Euripide qui a modifié le texte en l’intitulant  Andromaque  et l’a publié en 426 av JC. L’œuvre a été adaptée par Virgile dans l’Eneide  parue entre l’an 29 et l’an 19 av JC pour être ensuite réadaptée vers 1160 par un écrivain anonyme, l’œuvre est intitulée  Le Roman D’Énéas  aussi connu pour être l’un des premiers romans en français. Aussi, en 1471, le poète humaniste italien Maffeo Vegio publie une suite, Après le texte est parodié en 1648 avec  Virgile Travesti  de Scarron,  Eneida  du poète ukrainien Ivan Kotliarevsky en 1794 et devient même sujet d’un opéra dans  Dido and Aeneas  en 1689 composé par Henry Purcell. 

 

Vous croyez en avoir assez ? Focalisons-nous sur l’histoire : dans l’Iliade d’Homère, Oreste tue Pyrrhus car il présente un danger. Chez Euripide, il le tue pour protéger Hermione qui lui demande de la protéger alors que chez Virgile, il le tue car il voit Pyrrhus comme un rival pour accéder à Hermione. Jean Racine a réfléchi à un scénario beaucoup plus élaboré et plus cérébral. Oreste tue Pyrrhus pour exécuter la vengeance d’Hermione, donc Oreste prend en charge le meurtre en devenant l’instrument d’Hermione, ce qui devient beaucoup plus complexe puisque la passion se mêle à la justice. Racine arrive alors à donner une efficacité tragique nouvelle : le crime devient l’issue d’un conflit puisque les relations évoluent, ce qui, par ailleurs, change l’intrigue. On joue ici sur la sensibilité et la psychologie de chacun. Même si bien sûr, il est loin d’être le dernier, il a réussi d’une main de maître à donner une nouvelle vision à l’histoire.

Ainsi, le récit d’Andromaque  a su se métamorphoser tout au long de l’histoire, chacun change l’histoire selon ses envies : soit pour donner une nouvelle vision et ainsi innover plutôt qu’imiter, soit pour transposer le texte afin qu’il s’écoute dans un opéra ou encore pour qu’il devienne un roman.

 

Nous avons vu ici que les réécritures sont omniprésentes pour plusieurs raisons : afin de rendre une œuvre universelle et rendre son message immortel, pour transposer une œuvre en un autre style, pour donner une nouvelle vision de pensée, pour s’entraîner à adopter de nouvelles règles d’écriture, pour découvrir d’autres styles de langage et il y a encore tellement d’autres raisons pour adopter la réécriture. 

 

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’œuvre n’est pas un point mais plutôt une courbe, elle est constamment en métamorphose, et cela est bénéfique pour remplir deux buts essentiels de la littérature : divertir et apprendre car notre monde change.

 

 M.A